IL APPORTE UN TÉMOIGNAGE VIVANT SUR LE PARCOURS DU THÉÂTRE ET DU CINÉMA ALGÉRIENS ET AMAZIGHS
Mohamed Hilmi : “Voici ma part de vérité historique”
Il a encore du tonus ce Mohamed Hilmi, de son vrai nom Brahimi Mohamed Ameziane, qui avoisine les 80 printemps (né en 1931). Mieux, il a du punch et de la volonté de produire encore et encore, lui qui a toujours la culture qui court dans ses veines. Modestement, il nous accueille chez lui, sur les hauteurs d’Alger. Droit au but, il nous invite dans son bureau personnel, une véritable bibliothèque d’archives soigneusement rangées : des manuscrits, des coupures de presse, des photos-souvenirs datant de plus de 60 ans, des tableaux attestant son honorabilité et son apport à l’art de manière générale, mais aussi des livres et des registres où tout est chronologiquement noté, comme pour témoigner de plusieurs époques, voire de plusieurs épopées du théâtre, de la radio et du cinéma algériens, en général, et amazighs, en particulier. Il se souvient de tout. Du petit détail. Du plus subtil, soit-il. Ayant reçu plusieurs titres honorifiques pour son riche parcours, M. Hilmi a été honoré, au mois de Ramadhan dernier, au Théâtre national algérien (TNA) Mahieddine-Bachtarzi, par l’association culturelle le Troisième millénaire pour l’ensemble de sa carrière qui a débuté dans les années 1940. Depuis, il a touché à tous les arts : l’écriture et les sketches humoristiques, le cinéma, la comédie, la musique, la chanson, la réalisation, etc. L’artiste, toujours complet et plus que jamais comblé, refuse, sans animosité, l’accaparement de l’histoire de l’art amazigh, dont le théâtre et le cinéma. Comme il dénie toute exclusivité du principe de doyenneté dont seule l’histoire détient les secrets. Dans cet entretien, M. Hilmi revient sur les moments forts de ses débuts et de celui d’autres instigateurs du théâtre et du cinéma, tant à la Radio d’Alger qu’à la radio nationale Chaîne II. Il remonte aux origines de ces deux arts et restitue le contexte le plus plausiblement possible, documents à l’appui, les circonstances dans lesquels les artistes ont fait leurs premiers pas durant les années de braise. Parole à M. Hilmi.
Liberté : On parle beaucoup ces derniers temps du théâtre et du cinéma amazighs. Mohamed Hilmi revendique depuis toujours un produit de qualité, mais surtout la prise en charge de l’aspect historique de ces deux arts majeurs à travers sa riche carrière. Qu’en est-il exactement ?
Mohamed Hilmi : Ma première tentative dans le théâtre amazigh date de septembre 1952 (il exhibe un document datant du 26 mai 1952 signé par le SG de la préfecture d’Alger, Tony Roche, qui l’autorise à se produire conformément au décret du 7 février 1947 relatif aux garanties de sécurité exigées sur les établissements recevant le public). C’était du théâtre sur les planches. J’étais avec El Hachemi Larabi, qui est d’ailleurs toujours vivant.
Le théâtre kabyle est né avec moi. Je suis le premier instigateur de cet art noble avec une pièce intitulée Si Meziane, adaptée à partir d’une œuvre de Mahieddine Bachtarzi, et Mihachkoulène, la Sorcière, dont je suis l’auteur. À la radio Chaîne II, le premier instigateur du théâtre et à qui revient cet honneur n’est autre que Mohamed Lamrani, éminent élève de cheikh Ahmed Ibnou Zekri, originaire d’Azeffoun. Celui-ci était également professeur et directeur de la Medersa d’Alger, une prestigieuse école des hautes études islamiques.
Bien avant, il y avait des tentatives et des initiatives qui ont porté haut et fort le théâtre et le cinéma amazighs…
L’histoire est riche en enseignements pour celui qui veut apprendre. Mon devoir est de lutter contre l’oubli. C’est très important pour moi ! En 1947 déjà, la Radio d’Alger avait consacré une émission animée par Mohamed Lamrani en kabyle sur le célèbre poète si Mohand ou Mhand. Ce magazine a suscité un engouement tel que les auditeurs appelaient des quatre coins du pays, car il intéressait tout le monde. Suite à quoi, on avait alors proposé d’ouvrir un canal autonome exclusivement réservé à la production en kabyle. L’instigateur n’était autre que Saïd Rezzoug. À la fin de l’année 1947, ce canal a vu le jour. C’était un grand exploit ! Pour revenir à Mohamed Lamrani, celui-ci a tenté de créer le théâtre kabyle. Il a réussi à monter une troupe d’amateurs avant de s’engager dans le théâtre kabyle proprement dit. M. Lamrani avait même réussi à créer le Centre régional des arts dramatiques (Crad). À cette époque, j’étais à l’Opéra d’Alger dans la troupe de Mahieddine Bachtarzi. C’était en 1948. C’est alors que j’avais pris attache avec la radio où j’avais connu M. Lamrani. Et c’était à cette époque même où j’ai fait ma première tentative d’auteur avec une pièce de théâtre en 3 actes. L’œuvre intitulée Agoujil (l’orphelin) a été diffusée le 18 décembre 1949. Dans cette pièce assez originale, il y avait cheikh Noureddine, si Hocine Ouarab et Mohamed Lamrani. Il y avait également avec nous Abderrahmane Isker alias Abder Isker, un ancien journaliste de la radio, originaire d’Azzazga. Celui-ci deviendra vite un grand réalisateur à la télévision française TF1 sous le nom d’Abder Isker. Pour restituer encore les faits tels qu’ils étaient, il y avait aussi cheikh Hamouda qui animait des émissions religieuses. Il était auteur d’œuvres théâtrales à caractère social. Dans le même registre, il y avait également Mahieddine Oussedik alias Oumenguellet (ndlr : en rapport aux archs d’Ath Menguellet d’Aïn El-Hammam). Ce dernier était auteur et interprète de pièces théâtrales.
Le cercle commençait vite à s’agrandir. Quel était votre apport justement, vous qui aviez un rôle majeur et une responsabilité d’encadrer ce beau monde à une époque où il y avait peu de moyens ?
Effectivement, la troupe commençait à s’agrandir. J’ai prix l’initiative de proposer à M. Rezzoug de faire appel à mes collègues kabyles qui étaient dans la troupe de Mahieddine Bachtarzi.
Il y avait donc Ali Abdoune, Mustapha Badi et Rouiched. Les trois avaient alors participé à l’activité radiophonique tant en arabe qu’en kabyle, et ce en qualité de comédiens et auteurs.
Vient ensuite l’apport de Mme Lafarge alias l’la Tassadit, qui avait créé une émission enfantine où elle formait des jeunes talents, filles et garçons. C’était au début des années 1950. De son école sortirent alors de véritables talents comme Kadri Seghir, Arezki Nabti, Smaïl Si Ahmed, Ahmed Halit, Madjid Bennacer et Saïd Hilmi. Parallèlement, à la chaîne arabe, Ahmed Hadj Hamou, alias Reda Falaki, produisait également une émission enfantine en langue arabe.
Les deux émissions étaient de véritables pépinières. Ahmed Hadj Hamou a ensuite créé une troupe d’amateurs qu’il a dénommée Masrah El Ghad (théâtre de demain). Il y avait en son sein Farida Saboundji, Djafar Bek, Madjid Reda, Mohamed Niha, Mohamed Abdoune et moi-même, bien sûr. À cette époque, on s’investissait dans la formation. L’objectif était de préparer la relève dès qu’il s’agit de maintenir le cap sur la qualité de la production.
Au début des années 1950 toujours, Mustapha Kateb avait créé une troupe d’amateurs dénommée Masrah El Djazaïri (le théâtre algérien). Dans cette troupe, il y avait Sid Ali Kouiret, Larbi Zekal, Yahia Ben Mebrouk dit l’apprenti et Hadj Chérif. La chaîne était enrichie par d’autres auteurs, comme Saïd Zanoune, Abdi Mokrane et Kamel Hammadi, auteur de plusieurs opérettes du fait qu’il avait un penchant pour la musique.
Viendra ensuite l’épopée du cinéma…
Oui, juste après la création de la chaîne de la télévision. À cette époque, les responsables des émissions de la radio en amazigh et en arabe faisaient des démarches pour obtenir des plages horaires et une part qui reviendrait à ces deux langues nationales.
On tentait alors de trouver des brèches pour placer nos productions qui sommeillaient en nous. C’est ainsi, en plus de la chanson, des courts et moyens métrages, que la télévision a diffusé les premiers produits en décembre 1956.
Mustapha Badi et moi-même, nous avons animé deux émissions enfantines, les 4 et 18 décembre 1957. Ensuite, la télévision a diffusé, le 13 février 1958, un moyen métrage de 56 minutes que j’ai moi-même écrit en kabyle. Il était intitulé Akham Elehna (la maison de la sérénité), interprété par Ali Abdoune, cheikh Noureddine, Saïd Hilmi, Fatima Ben Osmane, une grande militante, Larbi Zekal, Kadri Seghir, Mohamed Abdoune, Sissani et Amar Ouhada. Le 19 juin 1961, une œuvre dramatique, un long métrage de 1h40 et intitulé Oul Imenan (fin inattendue), que j’ai par ailleurs écrite, a été également diffusée à Alger. Elle sera successivement diffusée le 24 juillet 1961 à Constantine et le 14 mars 1962 à Oran, car à cette époque, il est utile de le préciser, il y avait trois antennes régionales de télévision.
Qu’en est-il de la production et de l’animation après l’annonce du cessez-le-feu ?
Après le cessez-le-feu, plus exactement en avril 1962, lors d’une des visites au PC de la Wilaya III, le colonel Mohand Oulhadj m’a demandé d’organiser une tournée à travers la wilaya. L’objectif était de sensibiliser les gens sur la réalité, car tout le monde était sous l’euphorie du cessez-le-feu, alors qu’il fallait se mettre au travail et surtout se préparer à la rencontre du destin à l’approche du scrutin sur l’autodétermination du 2 juillet 1962.
Je n’ai pas tardé à préparer le spectacle que je présentais au fur et à mesure, et ce à l’appréciation du colonel Mohand Oulhadj. J’avais même prévu une chorale en arabe et en kabyle et une pièce de théâtre avec la participation de cheikh Noureddine, Saïd Hilmi, Saïd Lamrani, Kadri Seghir, Larbi Zekal et son frère Saïd Zekal, Ali Abdoune, sans oublier Moussa Haddad. Celui-ci était chargé de nous suivre avec sa caméra 8 millimètres ; c’était son premier pas dans le septième art. Voilà tout. Et au risque de me répéter, il est de mon devoir de lutter contre l’oubli et de témoigner de faits réels sur l’histoire du théâtre et du cinéma amazighs et de leur évolution.
Vous aurez bientôt 80 printemps et vous comptez produire encore. Quels sont vos projets, M. Hilmi, sachant que la Chaîne VI est exclusivement réservée à la production en amazigh ?
J’ai eu à rencontrer et à discuter avec le directeur général de la télévision algérienne sur plusieurs chantiers que je mettrai bientôt en œuvre. Le premier concerne un feuilleton exclusivement consacré à l’histoire du théâtre algérien. Je n’en dirai pas plus puisque je compte, très prochainement, animer une conférence de presse pour annoncer les grands axes de cet important projet. Le DG de la télévision nationale m’a donné son accord, mais on devra accorder la priorité à la Chaîne VI en amazigh qui a plus besoin de produits, car elle en est à son lancement. Mais je réaliserai avant 6 courts métrages que j’ai moi-même écrits, au même titre que le feuilleton. Ce ne sont pas les projets qui manquent.
Pour finir, M. Hilmi, car il y a trop de choses à dire, actuellement, nous assistons à une panoplie de festivals et à une surproduction audiovisuelle en Algérie. Non seulement ils ne drainent pas la grande foule, mais ils n’ont aucun impact sur la société. Pourtant, il y a tous les moyens pour faire un bon produit. Quelle appréciation faites-vous sur cet état de fait ?
Il y a trop de tralala à connotation politique ! C’est dû également à la maladresse de la communication. En théâtre, comme au cinéma, le public a beaucoup plus besoin de culture que de politique. Il est nécessaire de dissocier la production culturelle de la politique. À partir de là, le théâtre et le cinéma iront mieux et le public aura droit à des produits de qualité.
Mohamed Hilmi : “Voici ma part de vérité historique”
Il a encore du tonus ce Mohamed Hilmi, de son vrai nom Brahimi Mohamed Ameziane, qui avoisine les 80 printemps (né en 1931). Mieux, il a du punch et de la volonté de produire encore et encore, lui qui a toujours la culture qui court dans ses veines. Modestement, il nous accueille chez lui, sur les hauteurs d’Alger. Droit au but, il nous invite dans son bureau personnel, une véritable bibliothèque d’archives soigneusement rangées : des manuscrits, des coupures de presse, des photos-souvenirs datant de plus de 60 ans, des tableaux attestant son honorabilité et son apport à l’art de manière générale, mais aussi des livres et des registres où tout est chronologiquement noté, comme pour témoigner de plusieurs époques, voire de plusieurs épopées du théâtre, de la radio et du cinéma algériens, en général, et amazighs, en particulier. Il se souvient de tout. Du petit détail. Du plus subtil, soit-il. Ayant reçu plusieurs titres honorifiques pour son riche parcours, M. Hilmi a été honoré, au mois de Ramadhan dernier, au Théâtre national algérien (TNA) Mahieddine-Bachtarzi, par l’association culturelle le Troisième millénaire pour l’ensemble de sa carrière qui a débuté dans les années 1940. Depuis, il a touché à tous les arts : l’écriture et les sketches humoristiques, le cinéma, la comédie, la musique, la chanson, la réalisation, etc. L’artiste, toujours complet et plus que jamais comblé, refuse, sans animosité, l’accaparement de l’histoire de l’art amazigh, dont le théâtre et le cinéma. Comme il dénie toute exclusivité du principe de doyenneté dont seule l’histoire détient les secrets. Dans cet entretien, M. Hilmi revient sur les moments forts de ses débuts et de celui d’autres instigateurs du théâtre et du cinéma, tant à la Radio d’Alger qu’à la radio nationale Chaîne II. Il remonte aux origines de ces deux arts et restitue le contexte le plus plausiblement possible, documents à l’appui, les circonstances dans lesquels les artistes ont fait leurs premiers pas durant les années de braise. Parole à M. Hilmi.
Liberté : On parle beaucoup ces derniers temps du théâtre et du cinéma amazighs. Mohamed Hilmi revendique depuis toujours un produit de qualité, mais surtout la prise en charge de l’aspect historique de ces deux arts majeurs à travers sa riche carrière. Qu’en est-il exactement ?
Mohamed Hilmi : Ma première tentative dans le théâtre amazigh date de septembre 1952 (il exhibe un document datant du 26 mai 1952 signé par le SG de la préfecture d’Alger, Tony Roche, qui l’autorise à se produire conformément au décret du 7 février 1947 relatif aux garanties de sécurité exigées sur les établissements recevant le public). C’était du théâtre sur les planches. J’étais avec El Hachemi Larabi, qui est d’ailleurs toujours vivant.
Le théâtre kabyle est né avec moi. Je suis le premier instigateur de cet art noble avec une pièce intitulée Si Meziane, adaptée à partir d’une œuvre de Mahieddine Bachtarzi, et Mihachkoulène, la Sorcière, dont je suis l’auteur. À la radio Chaîne II, le premier instigateur du théâtre et à qui revient cet honneur n’est autre que Mohamed Lamrani, éminent élève de cheikh Ahmed Ibnou Zekri, originaire d’Azeffoun. Celui-ci était également professeur et directeur de la Medersa d’Alger, une prestigieuse école des hautes études islamiques.
Bien avant, il y avait des tentatives et des initiatives qui ont porté haut et fort le théâtre et le cinéma amazighs…
L’histoire est riche en enseignements pour celui qui veut apprendre. Mon devoir est de lutter contre l’oubli. C’est très important pour moi ! En 1947 déjà, la Radio d’Alger avait consacré une émission animée par Mohamed Lamrani en kabyle sur le célèbre poète si Mohand ou Mhand. Ce magazine a suscité un engouement tel que les auditeurs appelaient des quatre coins du pays, car il intéressait tout le monde. Suite à quoi, on avait alors proposé d’ouvrir un canal autonome exclusivement réservé à la production en kabyle. L’instigateur n’était autre que Saïd Rezzoug. À la fin de l’année 1947, ce canal a vu le jour. C’était un grand exploit ! Pour revenir à Mohamed Lamrani, celui-ci a tenté de créer le théâtre kabyle. Il a réussi à monter une troupe d’amateurs avant de s’engager dans le théâtre kabyle proprement dit. M. Lamrani avait même réussi à créer le Centre régional des arts dramatiques (Crad). À cette époque, j’étais à l’Opéra d’Alger dans la troupe de Mahieddine Bachtarzi. C’était en 1948. C’est alors que j’avais pris attache avec la radio où j’avais connu M. Lamrani. Et c’était à cette époque même où j’ai fait ma première tentative d’auteur avec une pièce de théâtre en 3 actes. L’œuvre intitulée Agoujil (l’orphelin) a été diffusée le 18 décembre 1949. Dans cette pièce assez originale, il y avait cheikh Noureddine, si Hocine Ouarab et Mohamed Lamrani. Il y avait également avec nous Abderrahmane Isker alias Abder Isker, un ancien journaliste de la radio, originaire d’Azzazga. Celui-ci deviendra vite un grand réalisateur à la télévision française TF1 sous le nom d’Abder Isker. Pour restituer encore les faits tels qu’ils étaient, il y avait aussi cheikh Hamouda qui animait des émissions religieuses. Il était auteur d’œuvres théâtrales à caractère social. Dans le même registre, il y avait également Mahieddine Oussedik alias Oumenguellet (ndlr : en rapport aux archs d’Ath Menguellet d’Aïn El-Hammam). Ce dernier était auteur et interprète de pièces théâtrales.
Le cercle commençait vite à s’agrandir. Quel était votre apport justement, vous qui aviez un rôle majeur et une responsabilité d’encadrer ce beau monde à une époque où il y avait peu de moyens ?
Effectivement, la troupe commençait à s’agrandir. J’ai prix l’initiative de proposer à M. Rezzoug de faire appel à mes collègues kabyles qui étaient dans la troupe de Mahieddine Bachtarzi.
Il y avait donc Ali Abdoune, Mustapha Badi et Rouiched. Les trois avaient alors participé à l’activité radiophonique tant en arabe qu’en kabyle, et ce en qualité de comédiens et auteurs.
Vient ensuite l’apport de Mme Lafarge alias l’la Tassadit, qui avait créé une émission enfantine où elle formait des jeunes talents, filles et garçons. C’était au début des années 1950. De son école sortirent alors de véritables talents comme Kadri Seghir, Arezki Nabti, Smaïl Si Ahmed, Ahmed Halit, Madjid Bennacer et Saïd Hilmi. Parallèlement, à la chaîne arabe, Ahmed Hadj Hamou, alias Reda Falaki, produisait également une émission enfantine en langue arabe.
Les deux émissions étaient de véritables pépinières. Ahmed Hadj Hamou a ensuite créé une troupe d’amateurs qu’il a dénommée Masrah El Ghad (théâtre de demain). Il y avait en son sein Farida Saboundji, Djafar Bek, Madjid Reda, Mohamed Niha, Mohamed Abdoune et moi-même, bien sûr. À cette époque, on s’investissait dans la formation. L’objectif était de préparer la relève dès qu’il s’agit de maintenir le cap sur la qualité de la production.
Au début des années 1950 toujours, Mustapha Kateb avait créé une troupe d’amateurs dénommée Masrah El Djazaïri (le théâtre algérien). Dans cette troupe, il y avait Sid Ali Kouiret, Larbi Zekal, Yahia Ben Mebrouk dit l’apprenti et Hadj Chérif. La chaîne était enrichie par d’autres auteurs, comme Saïd Zanoune, Abdi Mokrane et Kamel Hammadi, auteur de plusieurs opérettes du fait qu’il avait un penchant pour la musique.
Viendra ensuite l’épopée du cinéma…
Oui, juste après la création de la chaîne de la télévision. À cette époque, les responsables des émissions de la radio en amazigh et en arabe faisaient des démarches pour obtenir des plages horaires et une part qui reviendrait à ces deux langues nationales.
On tentait alors de trouver des brèches pour placer nos productions qui sommeillaient en nous. C’est ainsi, en plus de la chanson, des courts et moyens métrages, que la télévision a diffusé les premiers produits en décembre 1956.
Mustapha Badi et moi-même, nous avons animé deux émissions enfantines, les 4 et 18 décembre 1957. Ensuite, la télévision a diffusé, le 13 février 1958, un moyen métrage de 56 minutes que j’ai moi-même écrit en kabyle. Il était intitulé Akham Elehna (la maison de la sérénité), interprété par Ali Abdoune, cheikh Noureddine, Saïd Hilmi, Fatima Ben Osmane, une grande militante, Larbi Zekal, Kadri Seghir, Mohamed Abdoune, Sissani et Amar Ouhada. Le 19 juin 1961, une œuvre dramatique, un long métrage de 1h40 et intitulé Oul Imenan (fin inattendue), que j’ai par ailleurs écrite, a été également diffusée à Alger. Elle sera successivement diffusée le 24 juillet 1961 à Constantine et le 14 mars 1962 à Oran, car à cette époque, il est utile de le préciser, il y avait trois antennes régionales de télévision.
Qu’en est-il de la production et de l’animation après l’annonce du cessez-le-feu ?
Après le cessez-le-feu, plus exactement en avril 1962, lors d’une des visites au PC de la Wilaya III, le colonel Mohand Oulhadj m’a demandé d’organiser une tournée à travers la wilaya. L’objectif était de sensibiliser les gens sur la réalité, car tout le monde était sous l’euphorie du cessez-le-feu, alors qu’il fallait se mettre au travail et surtout se préparer à la rencontre du destin à l’approche du scrutin sur l’autodétermination du 2 juillet 1962.
Je n’ai pas tardé à préparer le spectacle que je présentais au fur et à mesure, et ce à l’appréciation du colonel Mohand Oulhadj. J’avais même prévu une chorale en arabe et en kabyle et une pièce de théâtre avec la participation de cheikh Noureddine, Saïd Hilmi, Saïd Lamrani, Kadri Seghir, Larbi Zekal et son frère Saïd Zekal, Ali Abdoune, sans oublier Moussa Haddad. Celui-ci était chargé de nous suivre avec sa caméra 8 millimètres ; c’était son premier pas dans le septième art. Voilà tout. Et au risque de me répéter, il est de mon devoir de lutter contre l’oubli et de témoigner de faits réels sur l’histoire du théâtre et du cinéma amazighs et de leur évolution.
Vous aurez bientôt 80 printemps et vous comptez produire encore. Quels sont vos projets, M. Hilmi, sachant que la Chaîne VI est exclusivement réservée à la production en amazigh ?
J’ai eu à rencontrer et à discuter avec le directeur général de la télévision algérienne sur plusieurs chantiers que je mettrai bientôt en œuvre. Le premier concerne un feuilleton exclusivement consacré à l’histoire du théâtre algérien. Je n’en dirai pas plus puisque je compte, très prochainement, animer une conférence de presse pour annoncer les grands axes de cet important projet. Le DG de la télévision nationale m’a donné son accord, mais on devra accorder la priorité à la Chaîne VI en amazigh qui a plus besoin de produits, car elle en est à son lancement. Mais je réaliserai avant 6 courts métrages que j’ai moi-même écrits, au même titre que le feuilleton. Ce ne sont pas les projets qui manquent.
Pour finir, M. Hilmi, car il y a trop de choses à dire, actuellement, nous assistons à une panoplie de festivals et à une surproduction audiovisuelle en Algérie. Non seulement ils ne drainent pas la grande foule, mais ils n’ont aucun impact sur la société. Pourtant, il y a tous les moyens pour faire un bon produit. Quelle appréciation faites-vous sur cet état de fait ?
Il y a trop de tralala à connotation politique ! C’est dû également à la maladresse de la communication. En théâtre, comme au cinéma, le public a beaucoup plus besoin de culture que de politique. Il est nécessaire de dissocier la production culturelle de la politique. À partir de là, le théâtre et le cinéma iront mieux et le public aura droit à des produits de qualité.