Secrets de parfumeurs
Rencontre avec Jean-Paul Guerlain, nez emblématique de la maison et Thierry Wasser, son successeur, pour parler des senteurs, des femmes, de la séduction et de… Guerlain.
Des mots échangés qui sentent bon l’élégance et laissent dans le souvenir une trace volatile comme une effluve, persistante comme un parfum…
Visionnez notre diaporama sur les parfums mythiques de Guerlain, et remontez le temps en découvrant les affiches ayant contribué à leur succès.
Un petit salon au premier étage de l’Institut Guerlain des Champs Elysées. Décor en or et blanc, volupté des grands rideaux mousseux et douceur d’un canapé en demi-cercle.
Sur une étagère en bois clair sont posées d’innombrables petites fioles contenant les différentes essences. Au milieu, un carrousel de mouillettes tend ses bras de métal, en attendant qu’une inspiration vienne s’en saisir.
Nous sommes dans l’antre de la maison Guerlain, qui fête aujourd’hui ses 180 ans de créations : beauté, lumières et transparences. Ici, règne le luxe à la française dans toute son élégance, celui qui sait souligner la féminité sans jamais l’outrager, rendre la séduction subtile et le charme insaisissable.
Jean-Paul Guerlain, grand seigneur des lieux, nous accueille avec sa courtoisie légendaire. Descendant de Pierre-François-Pascal Guerlain, il fut le nez vedette de la maison pendant plus de 30 ans et inventa des jus aussi puissants que Vétiver, Nahema, Samsara ou encore Jardins de Bagatelle.
A ses côtés, Thierry Wasser, celui qu’il vient d’adouber comme son fils spirituel, un ancien de chez Givaudan et Firmenich, à qui l’on doit le dernier parfum pour homme de la maison.
Les deux hommes nous parlent de leur passion pour les senteurs, de leur quête de la formule idéale et de leur conception du raffinement. Des mots qui en mûrissant, laissent dans leur sillage un souvenir aussi volatil qu’une effluve, aussi persistant qu’un parfum…
Votre grand-père, Jean-Paul Guerlain, disait que l’on créait « les parfums pour les femmes qu’on aime ». Est-ce aussi votre avis à tous deux ?
Jean-Paul Guerlain : Un parfum n’est pas qu’un assemblage d’effluves. C’est une magie, une inspiration, une alliance improbable. Pour réussir un parfum, il faut d’abord le rêver, le « sentir » dans tous les sens du terme. Et pour cela, il faut un sentiment, un acte d’amour. Car un parfum est vivant, il n’est pas abstrait. Il reflète la personnalité de celle auquel on le destine. Comme un vêtement, on le crée pour qu’il soit porté. Le parfum doit rendre la femme encore plus désirable. Il doit la souligner, la « transporter ». Alors, oui, tous les parfums que j’ai créés ont été inspirés par les femmes. Il y a eu par exemple Chant d’arômes pour la mère de mon fils, un parfum frais, léger, discret, Chamade au contraire pour une femme brune très sensuelle, presque animale. Puis j’ai créé Nahema en pensant à Catherine Deneuve, que j’avais vue dans un film. Ensuite, j’ai imaginé Samsara pour une femme qui ne se parfumait pas, mais qui m’avait dit qu’elle aimait le santal et le jasmin. Je me définis en fait parfois comme un « musicien des odeurs ».
Thierry Wasser : Pour moi, cette femme qui inspire la création d’un parfum est comme une muse. Elle n’est pas forcément réelle. Je l’imagine plus universelle. Comme une sorte de figure idéalisée. Toutefois, c’est toujours pour cette femme que j’imagine un parfum, pas pour une abstraction.
C’est d’ailleurs une des grandes valeurs de la maison Guerlain que de créer des parfums porteurs d’émotions…
JPG : Le parfum est le plus intense des souvenirs, il est donc le plus grand vecteur de communication qui soit. Vous connaissez cette anecdote qui est attribuée à Napoléon : passant en bateau près de la Corse il aurait dit « Ralentissez, je sens mon île ». J’ai créé une Aqua allegoria pour une femme italienne qui voulait un parfum qui sente la Corse et la Sardaigne. Une autre eau m’a été inspirée par les fleurs d’oranger de Séville. Ces odeurs très précises sont des réceptacles d’émotions . On respire le parfum et soudain c’est tout un pan de vie qui s’ouvre avec bonheur.
TW : Les émotions sont en effet parfois concentrées dans ces instants, qui renvoient à des souvenirs olfactifs forts. Par exemple, j’aime ce moment où la pluie va tomber et que la chaleur exalte les odeurs dans une sorte de fébrilité. C’est "cela" que j’ai voulu exprimer dans Quand vient la pluie.
Vous souvenez-vous d’une émotion olfactive particulière qui vous a touché enfant ?
JPG : Je me souviens de l’odeur vanillée des gaufres que je prenais quand j’allais au lycée Condorcet. La vanille, c’est une senteur qui rappelle le Sud, le soleil.
TW : Le souvenir des bouquets de roses. Ces roses de jardin très odorantes qui faisaient planer une atmosphère de douceur et de joie dans la maison de mon enfance.
Si on vous demandait de citer un geste qui exprimerait mieux l’action de se parfumer ?
JPG : Se parfumer dans le cou, derrière l’oreille. Dans cet espace si intime et en même temps si vivant, comme un baiser.
TW : Le geste est important. Il y a des femmes qui ont besoin d'une sensation sur la peau. Aujourd’hui ce qui me frappe, c’est l'acte de vaporiser le parfum, qui s’est généralisé. Le parfum vient sur le vêtement, sur les cheveux, dans la pièce autour. Mais il y a quelque chose aussi de très sensuel dans ce grand geste, qui place le parfum en auréole.
Quelles sont selon vous les principales qualités d’un parfum ?
JPG : Sa personnalité et son élégance. Qu’il atteigne une parfaite osmose entre ses notes de tête et de fond. Depuis 1828, la maison a créé 760 parfums et eaux de toilette. Tous possèdent un air de famille qui les rend reconnaissables, grâce à une harmonie subtile qui est notre secret, ce que l’on a appelé la « Guerlinade ». J’ajouterai, que comme dans une recette de cuisine, il est important de respecter un juste équilibre entre les produits naturels et les produits de synthèse. Il y a certaines odeurs que l’on ne peut pas conserver naturellement, on est donc obligé de les reproduire artificiellement. Mais, il est important de toujours associer ces composants à d’autres issus de la nature.
TW : Son raffinement, bien sûr, mais aussi son originalité. Il faut qu’un parfum ouvre les sens, que soudain on découvre quelque chose et on se découvre en même temps. C’est cette originalité qui rend le parfum unique, propice à être adopté. Chez Guerlain tous les grands jus ont été novateurs.
Puisque vous évoquez les valeurs de la maison Guerlain. Quelles sont-elles si vous deviez les résumer en quelques mots ?
JPG : L’art, la création et la rigueur sont les valeurs de la maison en tant que telle. Quant à nos produits, je dirai la féminité et la distinction. L’élégance. Un mélange de force et de subtilité. Car nous n’aimons pas la mièvrerie, mais nous n’aimons pas non plus le clinquant. Nous cherchons toujours à respecter une juste harmonie, comme en musique.
TW : Je dirai, le respect du patrimoine avant tout, qui s’exprime dans un mélange de lyrisme et de baroque, associés à la féminité.
Le vrai luxe selon vous ?
JPG : L’équilibre de toutes les musiques. La célébration de l’amour.
TW : Le raffinement sous toutes ses formes. Le luxe de l’inattendu, cette « heureuse surprise », qui nous transporte.
Propos recueillis par O.P.
Rencontre avec Jean-Paul Guerlain, nez emblématique de la maison et Thierry Wasser, son successeur, pour parler des senteurs, des femmes, de la séduction et de… Guerlain.
Des mots échangés qui sentent bon l’élégance et laissent dans le souvenir une trace volatile comme une effluve, persistante comme un parfum…
Visionnez notre diaporama sur les parfums mythiques de Guerlain, et remontez le temps en découvrant les affiches ayant contribué à leur succès.
Un petit salon au premier étage de l’Institut Guerlain des Champs Elysées. Décor en or et blanc, volupté des grands rideaux mousseux et douceur d’un canapé en demi-cercle.
Sur une étagère en bois clair sont posées d’innombrables petites fioles contenant les différentes essences. Au milieu, un carrousel de mouillettes tend ses bras de métal, en attendant qu’une inspiration vienne s’en saisir.
Nous sommes dans l’antre de la maison Guerlain, qui fête aujourd’hui ses 180 ans de créations : beauté, lumières et transparences. Ici, règne le luxe à la française dans toute son élégance, celui qui sait souligner la féminité sans jamais l’outrager, rendre la séduction subtile et le charme insaisissable.
Jean-Paul Guerlain, grand seigneur des lieux, nous accueille avec sa courtoisie légendaire. Descendant de Pierre-François-Pascal Guerlain, il fut le nez vedette de la maison pendant plus de 30 ans et inventa des jus aussi puissants que Vétiver, Nahema, Samsara ou encore Jardins de Bagatelle.
A ses côtés, Thierry Wasser, celui qu’il vient d’adouber comme son fils spirituel, un ancien de chez Givaudan et Firmenich, à qui l’on doit le dernier parfum pour homme de la maison.
Les deux hommes nous parlent de leur passion pour les senteurs, de leur quête de la formule idéale et de leur conception du raffinement. Des mots qui en mûrissant, laissent dans leur sillage un souvenir aussi volatil qu’une effluve, aussi persistant qu’un parfum…
Votre grand-père, Jean-Paul Guerlain, disait que l’on créait « les parfums pour les femmes qu’on aime ». Est-ce aussi votre avis à tous deux ?
Jean-Paul Guerlain : Un parfum n’est pas qu’un assemblage d’effluves. C’est une magie, une inspiration, une alliance improbable. Pour réussir un parfum, il faut d’abord le rêver, le « sentir » dans tous les sens du terme. Et pour cela, il faut un sentiment, un acte d’amour. Car un parfum est vivant, il n’est pas abstrait. Il reflète la personnalité de celle auquel on le destine. Comme un vêtement, on le crée pour qu’il soit porté. Le parfum doit rendre la femme encore plus désirable. Il doit la souligner, la « transporter ». Alors, oui, tous les parfums que j’ai créés ont été inspirés par les femmes. Il y a eu par exemple Chant d’arômes pour la mère de mon fils, un parfum frais, léger, discret, Chamade au contraire pour une femme brune très sensuelle, presque animale. Puis j’ai créé Nahema en pensant à Catherine Deneuve, que j’avais vue dans un film. Ensuite, j’ai imaginé Samsara pour une femme qui ne se parfumait pas, mais qui m’avait dit qu’elle aimait le santal et le jasmin. Je me définis en fait parfois comme un « musicien des odeurs ».
Thierry Wasser : Pour moi, cette femme qui inspire la création d’un parfum est comme une muse. Elle n’est pas forcément réelle. Je l’imagine plus universelle. Comme une sorte de figure idéalisée. Toutefois, c’est toujours pour cette femme que j’imagine un parfum, pas pour une abstraction.
C’est d’ailleurs une des grandes valeurs de la maison Guerlain que de créer des parfums porteurs d’émotions…
JPG : Le parfum est le plus intense des souvenirs, il est donc le plus grand vecteur de communication qui soit. Vous connaissez cette anecdote qui est attribuée à Napoléon : passant en bateau près de la Corse il aurait dit « Ralentissez, je sens mon île ». J’ai créé une Aqua allegoria pour une femme italienne qui voulait un parfum qui sente la Corse et la Sardaigne. Une autre eau m’a été inspirée par les fleurs d’oranger de Séville. Ces odeurs très précises sont des réceptacles d’émotions . On respire le parfum et soudain c’est tout un pan de vie qui s’ouvre avec bonheur.
TW : Les émotions sont en effet parfois concentrées dans ces instants, qui renvoient à des souvenirs olfactifs forts. Par exemple, j’aime ce moment où la pluie va tomber et que la chaleur exalte les odeurs dans une sorte de fébrilité. C’est "cela" que j’ai voulu exprimer dans Quand vient la pluie.
Vous souvenez-vous d’une émotion olfactive particulière qui vous a touché enfant ?
JPG : Je me souviens de l’odeur vanillée des gaufres que je prenais quand j’allais au lycée Condorcet. La vanille, c’est une senteur qui rappelle le Sud, le soleil.
TW : Le souvenir des bouquets de roses. Ces roses de jardin très odorantes qui faisaient planer une atmosphère de douceur et de joie dans la maison de mon enfance.
Si on vous demandait de citer un geste qui exprimerait mieux l’action de se parfumer ?
JPG : Se parfumer dans le cou, derrière l’oreille. Dans cet espace si intime et en même temps si vivant, comme un baiser.
TW : Le geste est important. Il y a des femmes qui ont besoin d'une sensation sur la peau. Aujourd’hui ce qui me frappe, c’est l'acte de vaporiser le parfum, qui s’est généralisé. Le parfum vient sur le vêtement, sur les cheveux, dans la pièce autour. Mais il y a quelque chose aussi de très sensuel dans ce grand geste, qui place le parfum en auréole.
Quelles sont selon vous les principales qualités d’un parfum ?
JPG : Sa personnalité et son élégance. Qu’il atteigne une parfaite osmose entre ses notes de tête et de fond. Depuis 1828, la maison a créé 760 parfums et eaux de toilette. Tous possèdent un air de famille qui les rend reconnaissables, grâce à une harmonie subtile qui est notre secret, ce que l’on a appelé la « Guerlinade ». J’ajouterai, que comme dans une recette de cuisine, il est important de respecter un juste équilibre entre les produits naturels et les produits de synthèse. Il y a certaines odeurs que l’on ne peut pas conserver naturellement, on est donc obligé de les reproduire artificiellement. Mais, il est important de toujours associer ces composants à d’autres issus de la nature.
TW : Son raffinement, bien sûr, mais aussi son originalité. Il faut qu’un parfum ouvre les sens, que soudain on découvre quelque chose et on se découvre en même temps. C’est cette originalité qui rend le parfum unique, propice à être adopté. Chez Guerlain tous les grands jus ont été novateurs.
Puisque vous évoquez les valeurs de la maison Guerlain. Quelles sont-elles si vous deviez les résumer en quelques mots ?
JPG : L’art, la création et la rigueur sont les valeurs de la maison en tant que telle. Quant à nos produits, je dirai la féminité et la distinction. L’élégance. Un mélange de force et de subtilité. Car nous n’aimons pas la mièvrerie, mais nous n’aimons pas non plus le clinquant. Nous cherchons toujours à respecter une juste harmonie, comme en musique.
TW : Je dirai, le respect du patrimoine avant tout, qui s’exprime dans un mélange de lyrisme et de baroque, associés à la féminité.
Le vrai luxe selon vous ?
JPG : L’équilibre de toutes les musiques. La célébration de l’amour.
TW : Le raffinement sous toutes ses formes. Le luxe de l’inattendu, cette « heureuse surprise », qui nous transporte.
Propos recueillis par O.P.