La Guerre d’Algérie au cinéma
Cinquante ans d’images entre la France et l’Algérie
Si il y a bien un thème qui a été à la fois exploité et censuré, c’est bien le thème de la guerre d’Algérie au cinéma. Un sujet qui a été longuement traité du côté algérien et français, mais chacun à sa façon, à sa manière. En France, même si le mot de guerre d’Algérie était tabou jusqu’aux années 1990, plus de 150 films, tous formats confondus, ont été réalisés entre 1957 et 2007. Pendant toute la guerre, les Actualités françaises ne tournent que 53 films, souvent très courts, mais en produisent 15 en 5 mois juste après l’Indépendance. Les Actualités cinématographiques (39 de Gaumontage et 14 de l’ORTF).
Les très nombreux films tournés par le service cinématographique des armées sont surtout des courts-métrages ; souvent, ils éliminent les aspects guerriers, purement militaires, pour ne promouvoir que l’action positive des militaires en Algérie. Dans le magazine Cinq colonnes à la une, l’Algérie est 16 fois présente durant le conflit. Toutes ces productions se ressemblent : elles évoquent très rarement les conflits réels et oublient quasi systématiquement les moudjahidine, sauf pour les dénigrer ou réduire leur rôle. Et après la guerre, l’essor des documentaires commence réellement vers 1981. De 1982 à 1992, Karine Tisseyre a localisé 291 émissions en analysant la base de données de l’INA. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a freiné la censure et le passage du temps a progressivement permis d’être plus audacieux dans les rétrospectives, notamment après 1990.
Côté cinéma, moins de 1% des films réalisés entre 1955 et 1995 évoquent la guerre et sont souvent simplement allusifs, tant la censure et l’autocensure de l’État mais aussi des distributeurs, ont été fortes durant cette période. Ainsi entre 1953 et 1962, 40 titres sont censurés et la moitié est interdite. Entre 1952 et 1959, 105 films sont bloqués parce que leurs auteurs n’acceptent pas les modifications. Durant la guerre, il n’y a pratiquement pas de film portant directement sur le conflit. Mais à la suite d’un Godard, les allusions au conflit restent nombreuses, parfois très explicites y compris dans des films non touchés par la censure. Ainsi de 1960 à 1965, on peut comptabiliser 9 films de fiction largement inspirés du conflit et 12 qui ne font que l’aborder. De rares cinéastes signataires du Manifeste des 121 (Truffaut, Resnais) perdent toute aide étatique. D’autres, militants ou solidaires, comme René Vautier ou Clément se mettent au service des Algériens ou rejoignent le FLN. Même après le conflit, les films restent rares et elliptiques : on peut compter 17 films de 1963 à 1977. Benjamin Stora recense une quarantaine de longs- métrages français dans un article de 1997. Même avec le recul et la limitation de la censure, ces films ne montrent quasiment jamais la légitimité combattante des révoltés algériens. Dans leur immense majorité, les films concernant la guerre d’Algérie évoquent surtout des problèmes franco-français, ceux du contingent essentiellement, des familles et des proches, des conflits internes. Ils n’illustrent quasiment jamais la lutte de Libération nationale algérienne dans toute son ampleur. Et les vrais absents sont les populations algériennes concernées, autochtones ou descendants d’Européens, qui ont trop rarement la parole.
Les choses ont vraisemblablement changé depuis, puisqu’au début des années 2000 et après plusieurs années de censure, la France a autorisé la révision de son histoire à travers le cinéma. Mieux encore, elle autorise des cinéastes français à évoquer ouvertement dans leurs films la torture, les dépassements et surtout l’échec de la vision coloniale française en Algérie.
Des angles d’attaque qui avaient conduit plusieurs réalisateurs français à la prison dans le passé. Une autocritique qui était presque inimaginable il y a sept ans, pour plusieurs cinéastes français. Mais, après la reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie au Parlement français, le sujet n’est plus tabou. Ainsi, après la réalisation du film de Philippe Faucon la Trahison, qui retrace les rapports étroits entre un officier français et des supplétifs algériens, Mon colonel, réalisé par Laurent Herbiet (dont le père était engagé dans la guerre d’Algérie) et produit par Costa Gavras. Un nouveau film français aussi poignant et aussi critique sur l'histoire de la présence coloniale française en Algérie a été également réalisé en 2007, Ennemi intime de Florent Siri.
Lourd tribut pour les cinéastes algériens
Ce film, qui a été tourné avec des moyens techniques importants, est adapté d’un documentaire de Patrick Rotman et retrace les atrocités de l’armée française en Algérie. Ennemi intime, c’est surtout l'histoire d'un officier pris dans la tourmente algérienne et qui va découvrir la guerre, les crimes les plus vils et la torture. Il va évoluer et découvrir que le pire ennemi dans ces conditions anormales, hors-la-loi des hommes, c'est peut-être soi-même... Côté algérien, le traitement du thème de la guerre est vu sous un autre angle et cela pour des raisons politiques et non artistiques. Il faut dire d’abord que les cinéastes algériens ont payé un lourd tribut durant la guerre (une dizaine de morts durant la guerre parmi eux l’un des plus grands espoirs du cinéma algérien Ali Djenaoui).
Dès 1957, les cinéastes connaissent organisation et formation, grâce à l’aide notamment de jeunes cinéastes français qui ont rejoint l’ALN. Officiellement, la première collaboration cinématographique algéro-française est un court-métrage documentaire réalisé en 1956 par Cécile Decugis, intitulé les Réfugiés. Tourné en 1956, ce film de 14 mn est un reportage sur les déportations-déplacements de population : regroupements et exils tunisiens.
L’auteure, qui a fait cette production dans un cadre privé avec l’armée algérienne, a été emprisonnée en France deux ans pour ce court-métrage documentaire. Il faut dire que certains cinéastes français, proches de la gauche, ont longuement soutenu la guerre de Libération contre la France. Ils ne se contentaient pas seulement de signer des pétitions, mais ils faisaient aussi des films et formaient les futurs cinéastes algériens, comme Mohamed Lakhdar Hamina ou Ahmed Rachedi.
Le plus connu et médiatisé est Vautier René, qui entama sa collaboration avec l’Algérie en réalisant Une nation, l’Algérie, en 1957. Un autre cinéaste français travaillera avec le FLN en 1958, Pierre Clément, qui réalisera un documentaire L'ALN au combat. Comme Vautier, Clément rejoint le FLN. Arrêté en 1958, il est condamné à 10 ans de prison.
Mais le film qui fera très mal aux autorités françaises a été Sakiet-Sidi-Youssef tourné conjointement par Pierre Clément et René Vautier. Réalisé à la demande de Frantz Fanon et d’Abane Ramdane, pour le service cinéma FLN, le film expose l’acte illégal du bombardement en 1958 d’un village tunisien à la frontière avec l’Algérie, Sakiet-Sidi-Youssef.
Un témoignage filmé qui provoqua une condamnation internationale de la France. Entretemps, René Vautier réalise un autre film Algérie en flammes, un film, de 23 mn en 16 mm, de démystification de la propagande française, tourné en grande partie clandestinement en Algérie en 1956-1957. Développé en Allemagne de l’Est, le film est montré à des Algériens au Caire. Mais Abane Ramdane, le soutien de Vautier, est assassiné. Le réalisateur passe donc deux ans en prison avant de s’évader ! Dès lors le GPRA, (le gouvernement provisoire de la République algérienne), conscient de l’importance de l’image et du cinéma dans la cause de la guerre de Libération, va se doter d’un service cinéma. C’est d’ailleurs le premier service cinéma dans l’histoire d’une organisation révolutionnaire.
Entre 1960 et 1961, Chanderli Djamel, Chaulet Pierre, Lakdar Hamina et René Vautier réalisent Djazaïrouna (Notre Algérie). En 1961, la même équipe Chanderli Lakdar Hamina et Serge Michel, réalisera, pour le compte du GPRA, les Fusils de la liberté, un moyen métrage sur la base d’un scénario de Serge Michel. Après l’Indépendance en 1962, ces cinéastes français, qui avaient contribué aux premières coproductions algéro-françaises et surtout aidé les Algériens à se doter d’une machine cinématographique efficace, retournent en France. Accusés d’avoir collaboré avec le FLN et d’avoir établi un service de cinéma de propagande contre la France, ils seront confrontés à la justice et surtout bannis du circuit des aides accordées par le cinéma français.
Les Français qui ont épousé la cause des Algériens vont contribuer alors à la création, en 1964, de la première institution cinématographique algérienne, la Cinémathèque, et certains techniciens français vont même enseigner dans l’Institut algérien du cinéma.
L’aide des pays occidentaux
Mais très vite les Algériens ont compris qu’il fallait demander l’aide d’autres pays occidentaux pour développer leur cinéma. Alors ils vont opter pour l’Italie pour réaliser les premières coproductions post-indépendance.
C’est Yacef Saâdi, l’ancien chef de la Zone autonome durant la Bataille d’Alger, qui va établir ce contact, avec sa société de production privée Casbah Film et va coproduire, avec l’Italie et Gillo Pentecorvo, le film le plus dérangeant pour le gouvernement français la Bataille d’Alger.
Le film sera refusé à Cannes et n’obtiendra son visa d’exploitation en France qu’en 1972, avant d’être retiré à cause des menaces de l’extrême droite. Cet épisode des relations cinématographiques algéro-françaises irrita énormément le président Boumediène, qui demanda à ses ministres d’offrir toute l’aide et la logistique aux cinéastes algériens et de multiplier la production de films sur la guerre de Libération.
Un cinéma que les Français qualifieront de cinéma de propagande, puisqu’il a un seul objectif, dénoncer les affres de la colonisation française. L’Institut du cinéma est fermé une année après sa création et les jeunes réalisateurs stagiaires seront envoyés en URSS, en Yougoslavie et en Pologne (des pays socialistes, amis de l’Algérie) pour se former.
La France ne fait pas alors partie des soutiens du cinéma algérien. Même s’ils ne coproduiront pas leurs films avec la France, de nombreux films de guerre algériens de qualité seront réalisés avec les meilleurs comédiens et des techniciens français, en coproduction avec des petites entreprises cinématographiques françaises. C’est le cas de Jean louis Trintignant et Marie José Nat dans l’Opium et le Bâton, Bernard Fresson dans Autopsie d’un complot, Michel Auclair et Jean Claude Berg dans Décembre. Ce dernier joua dans plusieurs films algériens le rôle très convaincant du militaire, et le compositeur Phillipe Arthuys fera toutes les musiques des films de Lakhdar Hamina et d’Ahmed Rachedi.
Des comédiens français qui, en plus de jouer les rôles parfois difficiles de militaires, avaient épousé la cause de la guerre pour l’indépendance de l’Algérie.
Et dès la création de l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique (Oncic) en 1968, le cinéma algérien connaîtra durant plus d'une décennie (entre 1970 et 1980) une véritable explosion culturelle, devenant le digne représentant du cinéma africain et arabe.
S'inscrivant dans la même ligne politique du pouvoir, le cinéma algérien est devenu le défenseur des causes arabe, palestinienne et surtout le promoteur d'un “cinéma non aligné”.
Une période faste puisque de 1969 à 1980, plus de 40 films algériens seront réalisés essentiellement sur la Guerre de libération : Patrouille à l’est (1971), d’Amar Laskri, l’Opium et le bâton (1969), d'Ahmed Rachedi, les Hors-la-loi (1969), de Tawfik Farès, ou encore la Voie (1968), de Mohamed Slim Riad. Des films qui seront interdits dans les festivals européens et surtout français et qui seront consacrés seulement dans des festivals plus proches du pôle socialiste comme le festival de Moscou, de Damas ou de Tachkent.
Il a fallu attendre 1975 pour voir un cinéaste algérien consacré, Mohamed Lakhdar Hamina, lauréat de la Palme d'or au festival de Cannes avec son film Chroniques des années de braise. Une fresque de trois heures qui résume les différentes étapes de la Révolution algérienne.
Le cinéma algérien avait gagné des galons en remportant cette palme par Mohamed-Lakhdar Hamina, celui-là même qui avait remporté la caméra d’or en 1966 avec Vent des Aurès à Cannes. Le réalisateur algérien avait obligé à l’époque les organisateurs du Festival de Cannes à lever les couleurs de l’Algérie, 4 ans seulement après l’indépendance de l’Algérie.
Une distinction qui a été très mal perçue par certains critiques et cinéastes arabes, qui ont accusé la France de Giscard d’Estaing d’avoir offert la palme à l’Algérie dans le but de normaliser les relations entre Alger et Paris.
En même temps en France et dix ans après l’indépendance de l’Algérie, René Vautier, le cinéaste breton et rebelle, en remet une couche et réalise en 1972 son premier long métrage Avoir 20 ans dans les Aurès. Ce film dénonce le malaise dans un contingent français qui déserte finalement. Un sujet tabou en France à l’époque et qui a causé de nombreux problèmes avec la censure pour René Vautier.
À la fin des années 1970, des cinéastes algériens installés en France commencent à se faire connaître à travers leurs films.
Ils vont créer le premier noyau de la coproduction franco-algérienne en France. Mais en Algérie, dans un pays à parti unique, où tout est contrôlé et centralisé, et qui est fortement marqué par une volonté de mise au pas de la culture, surtout si elle est laïque, berbérophone ou francophile, la production est quasiment totalement soumise à la censure et donc conforme le plus possible à l’idéologie dominante.
De ce fait, ce sont les silences du cinéma algérien qui sont les plus parlants puisqu’il y a exclusion des communistes, messalistes, berbères, femmes militantes et des compagnons de route français… Mais cela n’empêche pas les résistances des intellectuels et cinéastes : Mohammed Zinet, Farik Beloufa, Hachemi Chérif, Liedo... alors qu’au même moment, d’autres cinéastes algériens issus de l’émigration s’exprimeront sur la guerre d’Algérie à partir de la France. Ainsi on découvrira Touita Okacha, avec les Sacrifiés. Un film produit par la France, qui sera mal vu par Alger, puisqu’il dénonce les luttes des Algériens en France et les sanglants affrontements MNA-FLN à Nanterre en 1955.
En 1985, Mahmoud Zemmouri, soutenu par Mohamed Lakhdar Hamina, a réalisé les Folles années du twist, une parodie sur la guerre d’Algérie qui déplaira aux cinéastes algériens locaux qui vont jusqu'à signer une pétition pour exiger le départ de Mohamed Lakhdar Hamina de l’Oncic, puissant organisme d’État chargé de la production et de l’exploitation de film algérien.
Mais le film, qui effectuera un grand pas dans le rapprochement d’État à État, a été en 1993 C’était la guerre, un téléfilm réalisé conjointement par Failevic Maurice et Rachedi Ahmed. Un téléfilm de 180 mn en deux parties, produit à la fois par des privés et des télévisions publiques française et algérienne. Tourné dans la région de Bou Saâda en 1992, le film est inspiré d’un récit signé Jean-Claude Carrière (la Paix des braves) et du commandant Azzedine (On nous appelait fellaghas).
La guerre décrite dans un lieu limité, entre 1957 et 1960, par des militants algériens et par des soldats français. Le film devait être diffusé en même temps par France Télévisions et l’ENTV. Finalement seul le côté français diffusera sa copie, à Alger on n’avait apprécié la description faite des moudjahidine.Seulement voilà, entre 1990 et 2007, aucun film algérien ne sera fait sur le thème de la révolution. Les cinéastes se tourneront vers d’autres thèmes : les films prônant la liberté d’expression, dénonçant l’intégrisme, le terrorisme et la corruption. Il fallait attendre 2008 avec la sortie du film Benboulaïd, réalisé par un spécialiste des films sur la révolution, Ahmed Rachedi, pour que l’Algérie reprenne cette rhétorique sur le cinéma et la révolution.
Au total, 150 films côté français et 86 côté algérien ont été réalisés sur un thème qui divise encore les visions et qui n’a pas livré tout ses secrets : la guerre d’Algérie.
(*) Critique cinéma et réalisateur algérien. Auteur du documentaire Ça tourne à Alger et du documentaire Témoignage d’un prisonnier français de la guerre d’Algérie.
Président de l’association
À nous les écrans.
Cinquante ans d’images entre la France et l’Algérie
Si il y a bien un thème qui a été à la fois exploité et censuré, c’est bien le thème de la guerre d’Algérie au cinéma. Un sujet qui a été longuement traité du côté algérien et français, mais chacun à sa façon, à sa manière. En France, même si le mot de guerre d’Algérie était tabou jusqu’aux années 1990, plus de 150 films, tous formats confondus, ont été réalisés entre 1957 et 2007. Pendant toute la guerre, les Actualités françaises ne tournent que 53 films, souvent très courts, mais en produisent 15 en 5 mois juste après l’Indépendance. Les Actualités cinématographiques (39 de Gaumontage et 14 de l’ORTF).
Les très nombreux films tournés par le service cinématographique des armées sont surtout des courts-métrages ; souvent, ils éliminent les aspects guerriers, purement militaires, pour ne promouvoir que l’action positive des militaires en Algérie. Dans le magazine Cinq colonnes à la une, l’Algérie est 16 fois présente durant le conflit. Toutes ces productions se ressemblent : elles évoquent très rarement les conflits réels et oublient quasi systématiquement les moudjahidine, sauf pour les dénigrer ou réduire leur rôle. Et après la guerre, l’essor des documentaires commence réellement vers 1981. De 1982 à 1992, Karine Tisseyre a localisé 291 émissions en analysant la base de données de l’INA. L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 a freiné la censure et le passage du temps a progressivement permis d’être plus audacieux dans les rétrospectives, notamment après 1990.
Côté cinéma, moins de 1% des films réalisés entre 1955 et 1995 évoquent la guerre et sont souvent simplement allusifs, tant la censure et l’autocensure de l’État mais aussi des distributeurs, ont été fortes durant cette période. Ainsi entre 1953 et 1962, 40 titres sont censurés et la moitié est interdite. Entre 1952 et 1959, 105 films sont bloqués parce que leurs auteurs n’acceptent pas les modifications. Durant la guerre, il n’y a pratiquement pas de film portant directement sur le conflit. Mais à la suite d’un Godard, les allusions au conflit restent nombreuses, parfois très explicites y compris dans des films non touchés par la censure. Ainsi de 1960 à 1965, on peut comptabiliser 9 films de fiction largement inspirés du conflit et 12 qui ne font que l’aborder. De rares cinéastes signataires du Manifeste des 121 (Truffaut, Resnais) perdent toute aide étatique. D’autres, militants ou solidaires, comme René Vautier ou Clément se mettent au service des Algériens ou rejoignent le FLN. Même après le conflit, les films restent rares et elliptiques : on peut compter 17 films de 1963 à 1977. Benjamin Stora recense une quarantaine de longs- métrages français dans un article de 1997. Même avec le recul et la limitation de la censure, ces films ne montrent quasiment jamais la légitimité combattante des révoltés algériens. Dans leur immense majorité, les films concernant la guerre d’Algérie évoquent surtout des problèmes franco-français, ceux du contingent essentiellement, des familles et des proches, des conflits internes. Ils n’illustrent quasiment jamais la lutte de Libération nationale algérienne dans toute son ampleur. Et les vrais absents sont les populations algériennes concernées, autochtones ou descendants d’Européens, qui ont trop rarement la parole.
Les choses ont vraisemblablement changé depuis, puisqu’au début des années 2000 et après plusieurs années de censure, la France a autorisé la révision de son histoire à travers le cinéma. Mieux encore, elle autorise des cinéastes français à évoquer ouvertement dans leurs films la torture, les dépassements et surtout l’échec de la vision coloniale française en Algérie.
Des angles d’attaque qui avaient conduit plusieurs réalisateurs français à la prison dans le passé. Une autocritique qui était presque inimaginable il y a sept ans, pour plusieurs cinéastes français. Mais, après la reconnaissance officielle de la guerre d’Algérie au Parlement français, le sujet n’est plus tabou. Ainsi, après la réalisation du film de Philippe Faucon la Trahison, qui retrace les rapports étroits entre un officier français et des supplétifs algériens, Mon colonel, réalisé par Laurent Herbiet (dont le père était engagé dans la guerre d’Algérie) et produit par Costa Gavras. Un nouveau film français aussi poignant et aussi critique sur l'histoire de la présence coloniale française en Algérie a été également réalisé en 2007, Ennemi intime de Florent Siri.
Lourd tribut pour les cinéastes algériens
Ce film, qui a été tourné avec des moyens techniques importants, est adapté d’un documentaire de Patrick Rotman et retrace les atrocités de l’armée française en Algérie. Ennemi intime, c’est surtout l'histoire d'un officier pris dans la tourmente algérienne et qui va découvrir la guerre, les crimes les plus vils et la torture. Il va évoluer et découvrir que le pire ennemi dans ces conditions anormales, hors-la-loi des hommes, c'est peut-être soi-même... Côté algérien, le traitement du thème de la guerre est vu sous un autre angle et cela pour des raisons politiques et non artistiques. Il faut dire d’abord que les cinéastes algériens ont payé un lourd tribut durant la guerre (une dizaine de morts durant la guerre parmi eux l’un des plus grands espoirs du cinéma algérien Ali Djenaoui).
Dès 1957, les cinéastes connaissent organisation et formation, grâce à l’aide notamment de jeunes cinéastes français qui ont rejoint l’ALN. Officiellement, la première collaboration cinématographique algéro-française est un court-métrage documentaire réalisé en 1956 par Cécile Decugis, intitulé les Réfugiés. Tourné en 1956, ce film de 14 mn est un reportage sur les déportations-déplacements de population : regroupements et exils tunisiens.
L’auteure, qui a fait cette production dans un cadre privé avec l’armée algérienne, a été emprisonnée en France deux ans pour ce court-métrage documentaire. Il faut dire que certains cinéastes français, proches de la gauche, ont longuement soutenu la guerre de Libération contre la France. Ils ne se contentaient pas seulement de signer des pétitions, mais ils faisaient aussi des films et formaient les futurs cinéastes algériens, comme Mohamed Lakhdar Hamina ou Ahmed Rachedi.
Le plus connu et médiatisé est Vautier René, qui entama sa collaboration avec l’Algérie en réalisant Une nation, l’Algérie, en 1957. Un autre cinéaste français travaillera avec le FLN en 1958, Pierre Clément, qui réalisera un documentaire L'ALN au combat. Comme Vautier, Clément rejoint le FLN. Arrêté en 1958, il est condamné à 10 ans de prison.
Mais le film qui fera très mal aux autorités françaises a été Sakiet-Sidi-Youssef tourné conjointement par Pierre Clément et René Vautier. Réalisé à la demande de Frantz Fanon et d’Abane Ramdane, pour le service cinéma FLN, le film expose l’acte illégal du bombardement en 1958 d’un village tunisien à la frontière avec l’Algérie, Sakiet-Sidi-Youssef.
Un témoignage filmé qui provoqua une condamnation internationale de la France. Entretemps, René Vautier réalise un autre film Algérie en flammes, un film, de 23 mn en 16 mm, de démystification de la propagande française, tourné en grande partie clandestinement en Algérie en 1956-1957. Développé en Allemagne de l’Est, le film est montré à des Algériens au Caire. Mais Abane Ramdane, le soutien de Vautier, est assassiné. Le réalisateur passe donc deux ans en prison avant de s’évader ! Dès lors le GPRA, (le gouvernement provisoire de la République algérienne), conscient de l’importance de l’image et du cinéma dans la cause de la guerre de Libération, va se doter d’un service cinéma. C’est d’ailleurs le premier service cinéma dans l’histoire d’une organisation révolutionnaire.
Entre 1960 et 1961, Chanderli Djamel, Chaulet Pierre, Lakdar Hamina et René Vautier réalisent Djazaïrouna (Notre Algérie). En 1961, la même équipe Chanderli Lakdar Hamina et Serge Michel, réalisera, pour le compte du GPRA, les Fusils de la liberté, un moyen métrage sur la base d’un scénario de Serge Michel. Après l’Indépendance en 1962, ces cinéastes français, qui avaient contribué aux premières coproductions algéro-françaises et surtout aidé les Algériens à se doter d’une machine cinématographique efficace, retournent en France. Accusés d’avoir collaboré avec le FLN et d’avoir établi un service de cinéma de propagande contre la France, ils seront confrontés à la justice et surtout bannis du circuit des aides accordées par le cinéma français.
Les Français qui ont épousé la cause des Algériens vont contribuer alors à la création, en 1964, de la première institution cinématographique algérienne, la Cinémathèque, et certains techniciens français vont même enseigner dans l’Institut algérien du cinéma.
L’aide des pays occidentaux
Mais très vite les Algériens ont compris qu’il fallait demander l’aide d’autres pays occidentaux pour développer leur cinéma. Alors ils vont opter pour l’Italie pour réaliser les premières coproductions post-indépendance.
C’est Yacef Saâdi, l’ancien chef de la Zone autonome durant la Bataille d’Alger, qui va établir ce contact, avec sa société de production privée Casbah Film et va coproduire, avec l’Italie et Gillo Pentecorvo, le film le plus dérangeant pour le gouvernement français la Bataille d’Alger.
Le film sera refusé à Cannes et n’obtiendra son visa d’exploitation en France qu’en 1972, avant d’être retiré à cause des menaces de l’extrême droite. Cet épisode des relations cinématographiques algéro-françaises irrita énormément le président Boumediène, qui demanda à ses ministres d’offrir toute l’aide et la logistique aux cinéastes algériens et de multiplier la production de films sur la guerre de Libération.
Un cinéma que les Français qualifieront de cinéma de propagande, puisqu’il a un seul objectif, dénoncer les affres de la colonisation française. L’Institut du cinéma est fermé une année après sa création et les jeunes réalisateurs stagiaires seront envoyés en URSS, en Yougoslavie et en Pologne (des pays socialistes, amis de l’Algérie) pour se former.
La France ne fait pas alors partie des soutiens du cinéma algérien. Même s’ils ne coproduiront pas leurs films avec la France, de nombreux films de guerre algériens de qualité seront réalisés avec les meilleurs comédiens et des techniciens français, en coproduction avec des petites entreprises cinématographiques françaises. C’est le cas de Jean louis Trintignant et Marie José Nat dans l’Opium et le Bâton, Bernard Fresson dans Autopsie d’un complot, Michel Auclair et Jean Claude Berg dans Décembre. Ce dernier joua dans plusieurs films algériens le rôle très convaincant du militaire, et le compositeur Phillipe Arthuys fera toutes les musiques des films de Lakhdar Hamina et d’Ahmed Rachedi.
Des comédiens français qui, en plus de jouer les rôles parfois difficiles de militaires, avaient épousé la cause de la guerre pour l’indépendance de l’Algérie.
Et dès la création de l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique (Oncic) en 1968, le cinéma algérien connaîtra durant plus d'une décennie (entre 1970 et 1980) une véritable explosion culturelle, devenant le digne représentant du cinéma africain et arabe.
S'inscrivant dans la même ligne politique du pouvoir, le cinéma algérien est devenu le défenseur des causes arabe, palestinienne et surtout le promoteur d'un “cinéma non aligné”.
Une période faste puisque de 1969 à 1980, plus de 40 films algériens seront réalisés essentiellement sur la Guerre de libération : Patrouille à l’est (1971), d’Amar Laskri, l’Opium et le bâton (1969), d'Ahmed Rachedi, les Hors-la-loi (1969), de Tawfik Farès, ou encore la Voie (1968), de Mohamed Slim Riad. Des films qui seront interdits dans les festivals européens et surtout français et qui seront consacrés seulement dans des festivals plus proches du pôle socialiste comme le festival de Moscou, de Damas ou de Tachkent.
Il a fallu attendre 1975 pour voir un cinéaste algérien consacré, Mohamed Lakhdar Hamina, lauréat de la Palme d'or au festival de Cannes avec son film Chroniques des années de braise. Une fresque de trois heures qui résume les différentes étapes de la Révolution algérienne.
Le cinéma algérien avait gagné des galons en remportant cette palme par Mohamed-Lakhdar Hamina, celui-là même qui avait remporté la caméra d’or en 1966 avec Vent des Aurès à Cannes. Le réalisateur algérien avait obligé à l’époque les organisateurs du Festival de Cannes à lever les couleurs de l’Algérie, 4 ans seulement après l’indépendance de l’Algérie.
Une distinction qui a été très mal perçue par certains critiques et cinéastes arabes, qui ont accusé la France de Giscard d’Estaing d’avoir offert la palme à l’Algérie dans le but de normaliser les relations entre Alger et Paris.
En même temps en France et dix ans après l’indépendance de l’Algérie, René Vautier, le cinéaste breton et rebelle, en remet une couche et réalise en 1972 son premier long métrage Avoir 20 ans dans les Aurès. Ce film dénonce le malaise dans un contingent français qui déserte finalement. Un sujet tabou en France à l’époque et qui a causé de nombreux problèmes avec la censure pour René Vautier.
À la fin des années 1970, des cinéastes algériens installés en France commencent à se faire connaître à travers leurs films.
Ils vont créer le premier noyau de la coproduction franco-algérienne en France. Mais en Algérie, dans un pays à parti unique, où tout est contrôlé et centralisé, et qui est fortement marqué par une volonté de mise au pas de la culture, surtout si elle est laïque, berbérophone ou francophile, la production est quasiment totalement soumise à la censure et donc conforme le plus possible à l’idéologie dominante.
De ce fait, ce sont les silences du cinéma algérien qui sont les plus parlants puisqu’il y a exclusion des communistes, messalistes, berbères, femmes militantes et des compagnons de route français… Mais cela n’empêche pas les résistances des intellectuels et cinéastes : Mohammed Zinet, Farik Beloufa, Hachemi Chérif, Liedo... alors qu’au même moment, d’autres cinéastes algériens issus de l’émigration s’exprimeront sur la guerre d’Algérie à partir de la France. Ainsi on découvrira Touita Okacha, avec les Sacrifiés. Un film produit par la France, qui sera mal vu par Alger, puisqu’il dénonce les luttes des Algériens en France et les sanglants affrontements MNA-FLN à Nanterre en 1955.
En 1985, Mahmoud Zemmouri, soutenu par Mohamed Lakhdar Hamina, a réalisé les Folles années du twist, une parodie sur la guerre d’Algérie qui déplaira aux cinéastes algériens locaux qui vont jusqu'à signer une pétition pour exiger le départ de Mohamed Lakhdar Hamina de l’Oncic, puissant organisme d’État chargé de la production et de l’exploitation de film algérien.
Mais le film, qui effectuera un grand pas dans le rapprochement d’État à État, a été en 1993 C’était la guerre, un téléfilm réalisé conjointement par Failevic Maurice et Rachedi Ahmed. Un téléfilm de 180 mn en deux parties, produit à la fois par des privés et des télévisions publiques française et algérienne. Tourné dans la région de Bou Saâda en 1992, le film est inspiré d’un récit signé Jean-Claude Carrière (la Paix des braves) et du commandant Azzedine (On nous appelait fellaghas).
La guerre décrite dans un lieu limité, entre 1957 et 1960, par des militants algériens et par des soldats français. Le film devait être diffusé en même temps par France Télévisions et l’ENTV. Finalement seul le côté français diffusera sa copie, à Alger on n’avait apprécié la description faite des moudjahidine.Seulement voilà, entre 1990 et 2007, aucun film algérien ne sera fait sur le thème de la révolution. Les cinéastes se tourneront vers d’autres thèmes : les films prônant la liberté d’expression, dénonçant l’intégrisme, le terrorisme et la corruption. Il fallait attendre 2008 avec la sortie du film Benboulaïd, réalisé par un spécialiste des films sur la révolution, Ahmed Rachedi, pour que l’Algérie reprenne cette rhétorique sur le cinéma et la révolution.
Au total, 150 films côté français et 86 côté algérien ont été réalisés sur un thème qui divise encore les visions et qui n’a pas livré tout ses secrets : la guerre d’Algérie.
(*) Critique cinéma et réalisateur algérien. Auteur du documentaire Ça tourne à Alger et du documentaire Témoignage d’un prisonnier français de la guerre d’Algérie.
Président de l’association
À nous les écrans.