Paco Rabanne, un couturier qui se dévoile à El Watan
« La mode traditionnelle algérienne est belle »
Rencontré à Meudon, Paris, à la faveur de la sortie de son nouveau parfum 1 million, Paco Rabanne se caractérise par une humilité et une modestie sans égales. Dans cet entretien exclusif accordé à El Watan, il s’exprime sur le milieu de la mode et sur sa passion indéfectible pour le paranormal.
Comment avez-vous manifesté votre intérêt pour la mode ?
Suite à la mise à mort de mon père par les troupes franquistes, ma famille s’est installée en France en 1930. J’avais cinq ans. Ma mère était alors première main chez Balenciaga en Espagne. Après avoir été élève en Bretagne, je suis monté à Paris à 17 ans pour entamer pendant dix ans des études d’architecture à l’Ecole nationale des beaux-arts. Pour financer mes études, je réalisais des dessins de bijoux et des accessoires que je revendais à de grands couturiers comme Courrèges, Cardin, Balenciaga, Dior ou Givenchy. C’est ainsi que j’ai connu le monde de la mode. Et un jour, en 1964, je me suis dis qu’après tout, la mode était plus facile à faire que l’architecture, donc je vais en faire. J’avais une énorme culture de la mode. J’avais également beaucoup de copains autour de moi qui étaient de grands artistes dans les années 1960. J’avais remarqué que tous les artistes avaient abandonné les matières traditionnelles. On ne faisait plus de peinture sur toile, de sculpture sur du marbre. Tout le monde a adopté le métal. Je me suis dis que je veux être en harmonie avec mon époque, donc je vais faire des vêtements en harmonie avec leur travail en utilisant moi aussi le métal. J’ai présenté des robes expérimentales en papier et aluminium en 1966. C’était alors le début de la griffe Rabanne, celle d’un couturier qui n’aime pas le classique et qui n’hésite jamais à innover, recherchant sans cesse de nouveaux matériaux, de nouveaux concepts. Le métal restera ma touche personnelle et les pastilles métalliques sont des figures récurrentes dans l’ensemble de mes créations. Mes autres matières de prédilection sont le cuir, la fourrure et les plumes. J’accorde aussi un soin particulier aux accessoires, puisque j’ai créé plusieurs bijoux de fantaisie. Vite, je me suis passionné pour les parfums. Le premier à porter mon nom fut Calandre en 1969. En 2000, j’ai arrêté la haute couture pour me consacrer à l’écriture.
Vous vous êtes illustrés dans les médias à travers des prédictions et des récits sur vos vies antérieures ?
Je me souviens que j’ai une vaste culture ancienne. Je me souvenais bien de la cour égyptienne, il y a trois mille ans où les femmes portaient des bijoux d’or énormes. Oui, parce que moi, je me souviens de toutes mes vies passées. Voyez-vous quand je suis né, il y a 75 ans, je n’ai pas quitté le corps de ma mère par le passage à l’oxygène. Je n’ai pas pleuré. J’étais là, heureux, et j’ai gardé ma mémoire ancienne. Je sais qui j’ai été à mon arrivée sur cette planète terre et ce, il y a des millénaires. Les gens que je vois autour de moi ont perdu ce savoir, parce que le choc des naissances est tellement grand que cela efface des souvenirs. L’être humain a des souvenirs momentanément. Moi, ma mémoire est très ancienne. Etant écolier, j’étais tout le temps confronté à des problèmes. Je contredisais mes professeurs d’histoire en leur disant que les batailles ne se passaient pas comme elles le prétendaient. Elles étaient étonnées du fait que je soutenais que j’étais un des témoins potentiels. Ma grand-mère était chaman, c’est-à-dire qu’elle connaissait les sciences de la terre et elle soignait avec les mains. Elle avait des mains de feu. Les brûlures de deuxième degré disparaissaient instantanément. Elle me disait que c’était un secret qu’on a dans la famille depuis mille ans. C’était un don. Elle me demandait d’avoir un double regard. Tout ce que je voyais existait, parce que Dieu l’avait créé. Je crois en Dieu terriblement.
Détenez-vous, réellement, des dons de médium ?
Je suis certes médium, mais je tiens cependant à préciser que je n’ai jamais prédit la fin du monde, comme cela a été rapporté par les médias étrangers. J’ai parlé de la fin des temps. La fin du temps des poissons avant l’arrivée de l’époque du Verseau aquarus. Les journalistes ont mal interprété mes dires. La fin du monde, c’est dans cinq milliards d’années. Le soleil va exploser et va pulvériser toutes les planètes. Moi je le savais, c’est pour cela que j’étais en colère après les journalistes.
Avez-vous quitté la haute couture en 1999 pour vous consacrer au prêt-à-porter et aux parfums ?
Aujourd’hui est une journée spéciale pour moi, car j’ai signé avec la famille Puig de Barcelone en mai 1968. Nous sommes en mai 2008. Mon nouveau parfum 1 million représente quarante ans de travail avec la même famille. En tout, cela fait quarante-cinq ans de mode et quarante ans de parfum. J’ai une grande expérience dans la parfumerie. Ce dernier-né, je le trouve à la fois très rabanne et rabanesque, car nous sommes dans un monde de la mondialisation où il y a une peur sociale et du futur. Le flacon se décline sous la forme d’un lingot d’or. C’est un objet rassurant matériellement. C’est quelque chose de stable et, en même temps, il renferme de la magie. Cet objet a deux regards. Il rassure par l’or et il exprime une connaissance du divin différent. L’alchimie de la terre noire a été inventée par les arabes. Pour votre information, je connais très bien le Coran. Je connais toutes les sourate du Coran. Je ne suis pas un prophète, mais un homme de curiosité. J’ai lu le Coran, la Bible et la Torah. Je me replonge dans ses livres pour avoir un souffle pur. Ces lectures me procurent un apaisement énorme. Pour moi, Mohammed est le dernier prophète.
La mode, la prenez-vous très au sérieux ou pensez-vous qu’elle est frivole ?
Non, c’est très sérieux. car je dis que dans un pays où il n’y a pas de mode, le pays n’évolue pas. Par exemple, l’Iran et l’Afghanistan vivent toujours au moyen âge. Moyen âge du costume, des mœurs et de la civilisation. La mode, c’est un serment d’activités, surtout aujourd’hui que nous sommes entrés dans l’ère du Verseau. L’ère du Verseau est une ère féminine. C’est-à-dire que le pouvoir va être retiré aux hommes pour être redonné aux femmes. C’est pour cela qu’il y a de plus en plus de femmes présidentes de la République dans le monde entier. La mode peut être frivole, mais elle peut également être un signe référentiel de l’époque. J’ai toujours essayé de faire une mode qui corresponde à l’ère du temps. Je suis en conformité avec cette vision.
Vous avez baigné dans les coulisses de la mode pendant plusieurs décennies. Que détestez-vous justement dans l’univers de la mode ?
Je déteste la frivolité parce qu’on peut faire de la mode d’une façon sérieuse. Il faut comprendre le sens. Le rôle de la mode est de rendre une femme très belle. Il ne faut jamais imposer à une femme une mode. La femme est son propre juge. Elle doit se regarder dans un miroir et se dire que je vais prendre la mode au sérieux et porter des vêtements me mettant en valeur, et non pas porter des vêtements qui me détruisent. Toutes les femmes sont belles et magnifiques. Il faut qu’elles se mettent en valeur. Je dirai à toutes les femmes du monde, regardez-vous et servez-vous de la mode pour vous mettre en avant, mais d’une façon correcte, jolie et honorable. Car je n’aime pas les femmes transformées en prostituées.
Avez-vous toujours ce même rapport charnel avec la terre ?
Bien sûr que oui. J’ai fait la première fois l’amour à l’âge de 12 ans en creusant un trou dans le sol lors d’un passage dans le Léon, une des provinces bretonnes des plus réactionnaires. Il y a eu instantanément un tremblement de terre, suivi d’un flash de lumière. J’étais étourdi. La mère Terre m’a alors dit : merci mon fils (rires).
Vous êtes connu en Algérie à travers vos fragrances qui ne laissent pas indifférentes les femmes. Pensez-vous nous faire l’honneur un jour de venir en Algérie pour en présenter une, sachant que votre dernier parfum 1 million, sera présenté à la presse algérienne en septembre prochain ?
Ce n’est pas moi qui décide de mes déplacements à l’étranger. C’est le groupe international Puig qui décide de tout. Je retiens cependant cette date importante. C’est avec plaisir que je viendrai en Algérie.
Justement, que connaissez-vous de l’Algérie ou encore de la mode algérienne ?
Je connais la mode traditionnelle qui est belle. Je me souviens des tableaux de l’artiste peintre Eugène Fromentin. Ce dernier a peint des femmes algériennes dans des intérieurs, dans des costumes splendides. Les femmes de l’époque s’habillaient différemment. Elles portaient des costumes aux couleurs chatoyantes et aux broderies raffinées. J’ai eu l’occasion de voir, au Maroc, une présentation de mode marocaine traditionnelle. Malheureusement, je ne connais aucun nom d’un styliste ou encore d’un créateur algérien. Je n’ai pas eu l’occasion d’assister à un défilé de mode algérien. Je suis tout le temps sur les routes. Le globe terrestre est grand. (rires)
Quel est le secret de votre dynamisme ?
Je pense que le secret réside sur le sourire et le travail. Ma devise est d’être naturel. La mort ne me fait pas peur. C’est le passage d’un état vibratoire à un autre.
Quels sont vos passe-temps favoris ?
La lecture. Je lis beaucoup et je dessine énormément. Je travaille sans relâche. Je prie Dieu tout le temps. Je ne prie pas Dieu cinq fois, mais mille fois par jour.
Bio-Express
Francisco Rabaneda y Cuervo dit Paco Rabanne est né en Espagne en 1934. Afin de fuir le franquisme, la famille de Paco Rabanne se réfugie en France en 1939. De 1951 à 1963, il étudie l’architecture à l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts, à Paris, où il s’oriente vers la mode. En 1965, il signe, sous le nom de Paco Rabanne, une ligne de bijoux en rhodoïd, matière qu’il étend, l’année suivante, à la réalisation de vêtements féminins. En 1967, il crée des robes en papier ainsi que plusieurs modèles en pastilles de tabliers de protection. En 1976, il présente sa première collection de prêt-à-porter masculin et lance « Diffusion », une ligne de vêtements basiques dont seuls changent, d’une année sur l’autre, les matières et les couleurs. Malgré le rachat de sa maison de couture par le groupe Puig, en 1986, il continue de diriger l’atelier de création. Il crée des robes en papier métallisé irisé et à base de disques laser (1988), en pastilles « miroirs » et en toile enduite de cristaux liquides (1991), en tubes de caoutchouc transparents tressés (1992), en fibres optiques (1993) ou en plexiglas (1994). En 1999, il est chargé de superviser la création du prêt-à-porter et des parfums de la griffe, après la disparition de l’activité haute-couture. Parallèlement, il sort son premier parfum, Calandre , en 1969 ; suivront Paco Rabanne pour Homme (1973), Métal (1979), la Nuit (1985), Sport (1986), Ténéré (1989), XS (1993), XS pour Elle (1994) et Paco (1996). Récompensé par le Dé d’or de la haute couture en 1990, l’ensemble de son œuvre a fait l’objet, en 1995, d’une exposition au musée de la Mode de Marseille. Passionné d’ésotérisme, Paco Rabanne est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le sujet ; parallèlement, il a produit le film Salaam Bombay, Caméra d’or au festival de Cannes en 1988.
Nacima Chabani