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Archéologie. Une magnifique (re) découverte à El Milia

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olib

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Archéologie. Une magnifique (re) découverte à El Milia


Œuvre retrouvée


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Pierre Morizot (ndlr : ancien diplomate français passionné d’histoire et d’archéologie, notamment des Aurès) et moi-même, avons mené séparément des recherches sur les vestiges archéologiques de la basse vallée de l’Amsaga, c’est-à-dire entre le Hammam des Beni Haroun et la mer.




Celles-ci nous ont amené, dans ce cadre, à visiter en diverses occasions les ruines de Henchir el Abiod, supposées être celles de la ville de Tucca et la petite nécropole d’Aïn Kebira qui leur fait face sur la rive orientale de l’oued el Kebir. Ces investigations m’ont conduit à revoir le compte rendu de la découverte d’une mosaïque faite en 1895 par Charles Ménétret, administrateur de la commune d’El-Milia et publiée dans le Recueil de Constantine de l’année suivante(1).

Dans ce compte rendu, Charles Ménétret signalait qu’au début de l’été 1895, après de fortes pluies, l’on avait découvert à El Akbia, douar situé à 18 km au sud d’El Milia, «un fragment de carrelage dans le sentier qui conduit de l’Aïn El-Akbia à la mechta Amidj en traversant les jardins».(2) Après quelques déblaiements, une première mosaïque, marquée par un «A» sur le plan qu’il a dressé du site, «assez grossière» et non figurative, fut découverte.

Au début du mois d’août 1896, le docteur Bonafé, médecin à El-Milia, entreprit une fouille qui dégagea une partie d’une autre mosaïque (les carrés 1, 2, 5 sur le plan de Ménétret), avec un encadrement composé de «deux bandes fines de mosaïque», l’ensemble étant orienté à l’Est. Le 21 août, le Dr Bonafé et Charles Ménétret s’associèrent pour dégager entièrement les neuf panneaux de cette mosaïque principale et en prirent une photographie. Frappé par l’intérêt de cette découverte, P. Morizot adressa ce compte rendu à J-P. Darmon (président, de 1988 à 2004, de l’Association internationale d’études de la mosaïque antique) en lui demandant si cette mosaïque était connue. En réponse, celui-ci nous indiqua que la mosaïque d’El Akbia était effectivement recensée sur l’Inventaire des mosaïques de la Gaule et de l’Afrique (1909).

Elle avait été enlevée et transportée au début du XXe siècle à El Milia, dont le douar d’El Akbia dépendait administrativement. En l’absence d’un musée dans cette petite bourgade, elle avait été déposée dans la grande mosquée d’El Milia. Il nous paraissait douteux qu’elle y fût encore. Néanmoins, sur la base de ces indications, je me rendis à la mosquée d’El Milia (située à 60 km à l’est de Jijel). Grâce à l’obligeance du responsable de la mosquée, grande fut ma surprise et non moins forte mon émotion lorsque je retrouvai, derrière un grand rideau blanc, la mosaïque d’El Akbia, que je ne croyais pas aussi grande et aussi superbe. Celle-ci se présente comme un rectangle de 3,50 m de largeur sur 4 m environ de longueur, si l’on compte la partie restée couverte d’un enduit blanc, qui cache probablement le dessin «umbelliforme» déterré par Ménétret dans le demi-cercle du mur nord.

De son décor polychrome, se dégage une atmosphère digne d’une œuvre pointilliste où les ocres et les marines s’associent agréablement. On y découvre sur un fond bleu foncé des animaux marins (poissons, dauphins, céphalopodes, coquillages) et d’autres animaux terrestres, tels que des oiseaux et des serpents. Les ocres dominent dans les tableaux d’angles à cratères et le panneau central.
Cette redécouverte inattendue m’a permis d’entreprendre une nouvelle interprétation de l’ornement antique. La mosaïque d’El Akbia est divisée en neuf parties. Elle est encadrée de deux bordures décorées de torsades et de frises rectilignes. Ces belles bordures sont absentes sur deux côtés. Aux quatre coins, des panneaux représentent des cratères avec des pyramides végétales et des feuillages particulièrement bien rendus. Les feuilles composant la pyramide, regroupées par deux ou trois, sont lancéolées avec une couleur allant du gris-vert au vert olive, elles sont terminées en pointe d’une teinte plus claire. Deux tiges s’élèvent de chaque côté de la pyramide. La plus dense en feuillage suit la pyramide. L’autre est plus effeuillée ; une de ses branches retombe en volutes sur un des flancs du cratère. Leurs pointes de feuilles sont par contre noires.

Les scènes animales qui occupent quatre tableaux ont un fond de décor d’un délicat bleu marine. Les animaux aquatiques sont principalement représentés dans trois panneaux : il s'agit d'une torpille, d'un poulpe, et probablement d'une murène. Sur le quatrième, seul apparaît un animal terrestre, une cigogne tenant dans son bec un serpent. En tout, on y dénombre 38 animaux : une torpille, un poulpe, une murène, une cigogne, complétés par 23 coquillages, 2 oiseaux, 6 autres poissons, 2 dauphins et enfin un serpent. Les coquillages sont représentés par des cœurs, les flots indiqués par des traits brisés. Paradoxalement, c’est le tableau figurant un animal terrestre qui possède le plus grand nombre de coquillages (huit), le double de celui de la torpille ou de la murène. Ce décor rappelant les scènes aquatiques est connu ailleurs en Afrique du Nord et les espèces figurées sont communes sur le littoral de la Méditerranée et, plus particulièrement celui de Jijel.

Le panneau central est un carré entouré par un fin cadre de deux lignes de cube noir détruites par endroit et tapissées sur chaque côté d'une ombelle. Dix pédoncules aux couleurs beige et ocre démarrent du centre de chaque ombelle. Les arcs de cercle qui s’amorcent de chaque coin pour former l’ombelle délimitent un espace central en forme de carré concave. Ce dernier renferme un panier oblong fait de lanières croisées avec anse ou lanière, trois petites fleurs en ombelle, une coupe et trois coquillages. J.-P. Darmon, invité à commenter ces photographies, a bien voulu nous indiquer qu’à son avis «la mosaïque d’El Akbia [était] de belle qualité, le volume des cratères [était] bien rendu, les feuillages [étaient] habilement traités. Mais les figurations [étaient] assez sommaires».
Plusieurs mosaïques de l'Afrique du Nord, datant du troisième siècle, dépeignent des scènes de pêche ou de chasse. Le type de scène évoquant l’espace aquatique et les animaux qui le peuplent y est également fréquent. Pour la mosaïque d’El Akbia, un tel décor pourrait convenir à une piscine ou à des thermes, sans exclure qu’il puisse s’agir d’une salle de réception de type triclinium, ou salle à manger (tout dépend du contexte architectural).

Le motif du tableau central, qui est un panier servant peut-être à porter le poisson, conforterait le caractère aquatique des autres panneaux. Moins proche des paniers à pain, il aurait également pu servir aussi bien pour le transport des fruits et légumes que de poissons ou être utilisé pour transporter des aliments à l’occasion d’une partie de pêche ou d’une partie de campagne. D’ailleurs, une mosaïque de Carthage, du premier ou deuxième siècle, provenant probablement d’un triclinium, représente un panier de poissons à côté d’un panier de fruits. Ressemblant à celui de la mosaïque d’El Akbia, le panier à fruits est plus allongé que celui du poisson ; tressé différemment, il porte une anse flexible. Il pourrait se prêter à être porté en bandoulière si l’on se fie à la longueur de la lanière. Dans une autre belle mosaïque à Rome, datant de la fin du IVe siècle, couleur d'or, on voit un homme portant une tunique courte rayée verticalement, finissant de remplir de fruits un panier en osier. Le panier oblong est tissé de deux manières ; des lanières croisées, prenant une assez grande largeur, intercalées dans d’autres horizontales. Une anse noire semble se dessiner bien que l’homme ne semble pas l’appréhender.
Si l’on excepte la découverte jadis, dans la vieille ville de Jijel, d’une mosaïque représentant une panthère(3) et aujourd’hui disparue, la mosaïque à représentations animales d’El Akbia est la première que l’on connaisse dans la région. Celles trouvées précédemment à Jijel (Igilgili) et Ziama (Choba) sont en général géométriques ou représentent des scènes de la mythologie ; elles sont toutes entreposées dans des musées en-dehors de la wilaya (Béjaïa, Skikda…).

Il est en tout cas très heureux que cette mosaïque soit restée intacte jusqu’à nous, plus d’un siècle après sa découverte. Comme il n’existe aucune mosaïque au musée de Jijel, celle d’El Akbia, qui ne nécessiterait qu’une légère restauration, pourrait combler ce déficit. Une teinte bleue envahit en divers endroits le décor. En effet, lors de la restauration de la mosquée dans les années quatre-vingts, on a malencontreusement peint en bleu le décor de la mosaïque, croyant sans doute bien faire, puis on a monté un long et lourd rideau afin de soustraire l’image au regard des fidèles. Si l’on arrive à effacer cette teinte bleue et à restituer grâce à un enduit naturel les joints dans leur coloris d’origine, cet exemplaire exceptionnel de mosaïque retrouverait sa splendeur initiale. Ce pourrait être le début d’une collection de mosaïques inédite pour le musée de la wilaya et un atout supplémentaire pour ce type de vestiges, qui en Algérie subit le plus de dégradations. On rappellera le constat fait par Stéphane Gsell, qui au tout début du XXe siècle, s’inquiétait déjà du sort des mosaïques algériennes et disait : «nulle part, on a traité ces œuvres précieuses avec moins de respect qu’en Algérie ; bien peu d’entre elles ont été enlevées et ont pu trouver un asile dans des musées ; des monuments d’un grand intérêt sont aujourd’hui complètement perdus, d’autres ont subi des mutilations fort graves».(4)

Le musée de Jijel, s’il s’attelait à réhabiliter cet art décoratif, en procédant par ailleurs à la restauration de la mosaïque géométrique trouvée à Choba (qui fut longtemps entreposée dans la cour du siège de la commune de Ziama-Mansouriah), et à celle de Dar El-Batah, tout aussi ignorée, posséderait ainsi trois spécimens significatifs de l’art de la mosaïque, qui passe, selon Victor Waille, «pour avoir été l’art le plus florissant de l’Afrique romaine».(5)



-1) Ménétret (Charles), «Ruines d'El-Akbia (commune mixte d'El-Milia) [mosaïque]», Recueil des notices et mémoires de la Société archéologique de la province de Constantine, vol. 30, 1895-1896.
-2) Le douar El Akbia comprenait trois villages (Bénihaï, Amidj et El Akbia). Si le nom d’El Akbia fut assigné à l’ensemble du district après 1869, c’est qu’il était le mieux loti : on y trouve une source abondante et de meilleures terres. Cf. Mahfoud Bennoune, El Akbia, un siècle d’histoire algérienne, 1857-1975, OPU, Alger, 1986. C’est cependant à l’emplacement du petit village d’Amidj, compte tenu d’un relief plus favorable, que les colons romains se sont établis et que l’on a découvert la mosaïque dite «d’El Akbia».
-3) Gsell (Stéphane), Les monuments antiques de l’Algérie, tome 2, Paris, 1901, p. 106.
-4) Gsell (Stéphane), ibid, pp. 100-101.
-5) Waille (Victor), Fouilles de Cherchell (1902-1903), Rev. af. XLVII, 1903, p. 100. 


Passion du passé :


Au-delà de l’intérêt de la (re)découverte de la mosaïque d’El Akbia, disparue pendant plus d’un siècle, nous avons publié cet article pour mettre aussi en valeur qu’il existe de véritables passionnés d’histoire et d’archéologie dans notre pays. Karim Hadji en fait partie. Agé de 52 ans, ce fonctionnaire de l’Université de Jijel consacre l’essentiel de son temps libre sur les traces du passé, soit à travers la consultation d’ouvrages et d’archives, soit par des visites sur le terrain.

Ses études universitaires ont porté sur la biologie à partir de laquelle, à force d’études personnelles, il s’est intéressé dans un premier temps à la préhistoire avant de sauter le pas vers l’histoire.
En amateur éclairé, il n’intervient jamais sur les sites ou les vestiges, se contentant de l’observation et de la recherche, pour son plaisir personnel mais surtout dans un souci de préservation et de promotion du patrimoine. Il anime notamment le site jijel-archéo dans lequel il met en valeur les trésors de cette wilaya riche en vestiges méconnus.

Il faudrait peut-être envisager de reconnaître, après validation, le statut de chercheur indépendant. Dans cet article, il faut souligner aussi le comportement exemplaire de l’imam (et de ses prédécesseurs) ainsi que des fidèles de la mosquée qui, ayant «hérité» malgré eux de la fameuse mosaïque, ont tenu à la protéger autant qu’ils le pouvaient. A & L.



KARIM HADJI. Chercheur indépendant.

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